Le web 3, l’allié insoupçonné
du green deal européen
Faustine FLEURET – Présidente ADAN
Le changement climatique est une réalité mondiale. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les activités humaines ont contribué à une augmentation sans précédent des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, entraînant une élévation des températures à l’échelle planétaire. Les conséquences déjà importantes et visibles – fonte accélérée des calottes glaciaires, élévation du niveau de la mer, recrudescence d’événements météorologiques extrêmes, etc. – mettent à mal la santé publique, la biodiversité, la sécurité alimentaire, mais aussi la stabilité de l’économie et la paix mondiale.
Face à cette urgence, l’innovation technologique est cruciale pour opérer une transition énergétique indispensable et efficace. Les entreprises du web 3, grâce aux technologies blockchain et aux crypto-actifs, doivent et peuvent jouer un rôle déterminant, n’en déplaisent à leurs détracteurs.
Les crypto-actifs et le minage : de leur consommation énergétique à leur empreinte environnementale
Un rôle déterminant, car le développement du web 3 n’est pas un danger pour la lutte contre le réchauffement climatique. En effet, contrairement à une croyance malheureusement largement répandue, les crypto-actifs ne constituent pas un désastre environnemental.
Les crypto-actifs sont une population large, et surtout très protéiforme, d’actifs numériques. Cette hétérogénéité réside notamment dans la conception technique du jeton, à commencer par le protocole blockchain par lequel il est émis. Car oui, l’on ne parle pas de “la” blockchain, mais des réseaux blockchain. Parmi les différences pouvant exister entre ceux-ci : le protocole de consensus – qui régit la validation des transactions exécutées sur le réseau blockchain en question et en garantit la sécurité.
Sur Bitcoin, les transactions sont validées grâce à la preuve de travail (proof-of-work – PoW) et aux mineurs qui utilisent la puissance de calcul afin de trouver la solution au problème cryptographique conditionnant l’ajout d’un bloc de transactions à la chaîne, et sont rémunérés pour cela. Cependant, il ne s’agit pas de l’unique protocole de consensus. La preuve d’enjeu (proof-of-stake – PoS), autre système de validation de transactions on-chain, ne requiert ni mineurs ni puissance de calcul : ceux qui valident les transactions sont tirés au sort avec une probabilité proportionnelle à la quantité de jetons de protocole détenue.
Ainsi, la preuve d’enjeu n’est par essence que très peu énergivore : le second réseau derrière Bitcoin – Ethereum – n’utilise que 2 601 MWh par an, quand Netflix en consomme 94 000. Et si le minage consomme davantage, son empreinte environnementale dépend de l’énergie utilisée. Or, ces dernières années, le mix énergétique du minage fait une part de plus en plus belle aux énergies renouvelables (ENR) : au dernier trimestre 2022, sur Bitcoin, cette part s’élève à près de 60 %. En effet, les coûts de production d’électricité à partir de sources durables, tels que l’énergie solaire et éolienne, sont devenus de plus en plus compétitifs. Extrêmement mobiles, les mineurs peuvent s’installer dans des régions où les énergies renouvelables sont gaspillées, invendues et/ou abondantes, et bénéficier ainsi de coûts d’exploitation réduits.
Les opportunités technologiques et les leviers à la main des entreprises du web 3
Un rôle déterminant, car le développement du web 3 constitue même une opportunité pour atteindre les objectifs environnementaux de l’Europe. L’étude de l’Adan “Web 3 et crypto en France et en Europe : adoption par le grand public et applications dans les industries” parue en avril 2023 recense nombre de cas d’usage et d’initiatives portées par la nouvelle économie de l’internet décentralisée afin de contribuer activement au plan d’action vert de l’Union européenne.
Comment le web 3 concourt-il au
“combat du siècle” ?
En régulant l’offre et la demande d’énergies renouvelables (ENR). La transition vers des énergies renouvelables présente des défis liés à la congestion – voire la saturation possible – du réseau électrique liée à l’intermittence de leur production et leur stockage complexe et coûteux. Spécifiquement flexibles, les infrastructures technologiques dites “HPC” – pour high performance computing – utilisées pour le minage peuvent ainsi permettre de déployer des stratégies de déplacement ou de réduction de la demande d’électricité afin de moduler la distribution d’ENR, conformément aux recommandations de l’Agence Internationale de l’Énergie en faveur des solutions de réponse à la demande pour atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050. Pendant les périodes de congestion, l’énergie excédentaire peut être dirigée vers des centres de minage qui absorbent le surplus de production ; a contrario pendant les périodes de tension, le minage peut être suspendu (contrairement aux data centers dont l’activité ne peut être interrompue). Cette pratique a été mise en œuvre avec succès en Norvège du Nord, ou encore au Texas. Des champions français, comme Big Block Green Service et Sesterce, sont reconnus depuis des années.
En réduisant les externalités négatives et la pollution associées à d’autres pans de l’industrie. La récupération d’énergie fatale (ie. perdue sans être exploitée) pour alimenter les infrastructures HPC peut en effet réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre. L’exploitation des énergies fossiles, en particulier lors de l’extraction du pétrole, entraîne une dissipation d’énergie, notamment par le torchage du méthane. Cette pratique libère d’importants volumes de gaz à effet de serre. Les centres de HPC peuvent convertir et réutiliser cette énergie récupérée à partir du méthane, et ainsi réduire considérablement son impact environnemental. Cette approche présente un potentiel significatif, notamment dans les pays d’Afrique du Nord qui disposent de connexions de gazoducs sous-utilisées avec l’Europe.
En optimisant les actifs technologiques des industriels et des acteurs de l’énergie. Ces entreprises disposent d’infrastructures informatiques et de serveurs souvent sous-utilisés, qui pourraient être mieux rentabilisés en leur permettant de fournir des services liés aux réseaux blockchain ou au cloud, de sécuriser le réseau, ou encore de déployer de nouvelles applications on-chain, diversifiant ainsi leurs sources de revenus et renforçant par là même leur souveraineté numérique.
En finançant réellement des projets verts et durables. Parmi leurs nombreux avantages, les technologies blockchain sont publiques et transparentes. Elles peuvent ainsi faciliter l’ancrage, le contrôle et la vérification de l’origine et de l’utilisation d’informations et de valeurs diverses : pour suivre et sécuriser l’allocation des énergies renouvelables grâce à la tokenisation de certificats d’énergies renouvelables et de crédits carbone (bien que l’adoption soit à ce jour freinée par des contraintes réglementaires), et pour garantir le financement de projets durables grâce au ciblage, au traçage et à la programmabilité permises par les blockchains. Cette transparence et cette auditabilité des transactions en crypto-actifs peuvent être mises à profit d’autres cas d’usage pour faciliter le développement de l’économie circulaire, la commercialisation de solutions d’énergie renouvelable décentralisées, ou encore la création de systèmes de récompenses des efforts de réduction des émissions de carbone.
En se conformant aux réglementations environnementales. La transition vers une économie décarbonée nécessite des réglementations ambitieuses, incitant les entreprises à adopter des pratiques respectueuses de l’environnement. Les acteurs de la nouvelle économie de l’internet décentralisée sont pleinement concernés par les obligations d’un certain nombre de textes européens comme les directives Corporate Sustainability Reporting (CSRD) et Corporate Sustainability Due Diligence (CSDD) de périmètres plus larges que les marchés de crypto-actifs, ou le règlement Markets in Crypto-Assets (MiCA) qui impose des exigences spécifiques en la matière aux prestataires de services sur actifs numériques. L’enjeu réside en l’harmonisation de ces standards au niveau international et à la supervision efficace de nos lois pour en éviter le contournement.
Concrétiser les ambitions de l’industrie
Les crypto-actifs offrent une opportunité unique pour les entreprises du web 3 de contribuer activement à la transition environnementale de l’Europe. L’adoption de ces technologies doit ainsi être encouragée pour renforcer l’efficacité énergétique, répondre aux futures réglementations environnementales et développer des cas d’usage concrets alignés sur les objectifs environnementaux.
Favoriser cette adoption doit mobiliser collectivement les acteurs qui en portent les nouveaux usages – l’Adan et ses membres – mais aussi nos décideurs. Prévu initialement pour novembre 2022 dans le cadre la loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, le secteur français guette la remise par le Gouvernement de son rapport sur le développement des crypto-actifs, sur ses enjeux et sur ses impacts environnementaux actuels et à venir. Associées à ces réflexions, les entreprises seront attentives aux recommandations formulées dans ce rapport et attendent la levée des obstacles – réputation, financements, réglementations – à leur volonté de s’engager pleinement avec les pouvoirs publics pour le combat du siècle.