Quel rôle pour les gérants d’actif
dans la transition énergétique ?

Philippe SETBON – Président AFG

Un contexte qui nous oblige

Le changement climatique fait courir des risques majeurs à notre planète et systémiques à nos économies. L’ensemble des acteurs – pouvoirs publics, industriels, investisseurs et gestionnaires d’actifs sont engagés dans une course contre la montre. La finance durable qui vise à injecter des moyens financiers dans l’économie de la transition a connu une maturation à très grande vitesse. Et elle continue de se structurer dans un contexte encore mouvant : un socle règlementaire en construction, une matière brute encore parcellaire ou insuffisante pour évaluer la stratégie des entreprises en matière de durabilité et flécher les flux financiers vers les projets les plus porteurs. Aussi, analyser les engagements et les actions des différents acteurs sur la base de photographies sans appréhender les trajectoires dans leur ensemble constituerait assurément une erreur méthodologique.

Rappelons que notre métier, la gestion d’actifs pour compte de tiers, consiste à investir l’épargne dans l’intérêt de nos clients. Cette responsabilité est d’ailleurs soumise à un cadre légal et réglementaire et y contrevenir entraîne de lourdes sanctions. En matière de finance verte, comme en toute autre matière, nous agissons dans le strict respect de nos investisseurs.

Une mobilisation en Finance Durable depuis plus de 20 ans

Depuis plus de 20 ans, la gestion d’actifs a fait spontanément évoluer ses modèles d’investissement pour y intégrer la durabilité. Hier, la finance durable était une niche ; aujourd’hui, elle se généralise. Après des décennies d’orientation des flux financiers vers une économie dont le moteur était en grande partie alimenté par les énergies fossiles, nous apportons aux entreprises les ressources nécessaires pour financer leur transition vers un nouveau modèle économique décarboné. Notre conviction est qu’il faut accompagner l’économie dans son ensemble, dans toutes ses composantes pour qu’elle réussisse cette transition. Comment ? En orientant l’épargne des ménages vers les colossaux besoins de financement des entreprises qui se transforment.

Rappelons également que nos investissements sont à l’image de l’économie, avec des actifs déjà « verts » et aussi beaucoup d’actifs « gris », encore carbonés, mais engagés dans un processus de décarbonation. Il ne peut être question de détruire l’économie carbonée du jour au lendemain en tarissant les financements pour reconstruire ex nihilo une autre économie verte, mais de remplacer progressivement l’économie du fossile par l’économie du vert. Nous n’avons d’ailleurs pas la légitimité de nous substituer aux pouvoirs publics en interdisant le financement de secteurs économiques entiers. Ce serait aussi un non-sens économique aux conséquences dévastatrices sur le plan social. Un retour en arrière serait alors à craindre ; les enjeux politiques de court terme pouvant peser plus lourd que ceux de long terme de la durabilité.

La gestion d’actifs a su anticiper le mouvement vers la transition et a pris de l’avance sur la réglementation E. S et G, venue préciser le cadre et les orientations prises

La finance durable touche par essence des sujets qui s’inscrivent dans un horizon de long terme : le climat, la biodiversité, le capital humain.

Mécaniquement, les décisions d’investissement sont donc repensées dans un temps long. Par conséquent, l’évaluation de ces décisions porte nécessairement sur des trajectoires et non sur des photos instantanées n’illustrant que l’activité et les pratiques d’une entreprise à l’instant T. La transition que nous contribuons à financer est équilibrée : elle met l’accent sur la préservation de l’environnement, mais veille aussi à ce que la transition énergétique soit inclusive en tenant compte des enjeux sociaux et de gouvernance. Cet équilibre essentiel est gage de pérennité.

Un intérêt motivé par le financement de la transition énergétique

La finance ne peut pas tout, mais la finance peut effectivement accélérer la transition. Comment ?
En jouant son rôle : Orienter l’épargne des ménages vers les besoins de financement des entreprises qui se transforment, mais aussi en incitant ces mêmes entreprises à améliorer sensiblement leurs pratiques. Concrètement, les gérants dialoguent avec les acteurs du tissu économique via leur politique de vote et d’engagement. Lors des assemblées générales, ils veillent par exemple à ce que les critères environnementaux soient pris en compte dans les rémunérations des dirigeants. Ils utilisent aussi le puissant levier de la dette pour dialoguer et peser dans les orientations des entreprises refinancées.

La gestion d’actif n’est pas une finalité mais un moyen de financer la transition en orientant l’épargne des ménages vers les besoins de financement des entreprises qui se transforment.

Elle accompagne l’économie dans son ensemble : la collecte des ressources (épargne) au service du financement de l’économie

Un cadre réglementaire mouvant et un fort besoin de pédagogie

Rappelons enfin que nous opérons dans un cadre fixé par les pouvoirs publics au travers de la réglementation qui donne à la fois un cadre et une direction pour qualifier ce qui est durable ou ne l’est pas. La réglementation européenne nous pousse ainsi à améliorer encore les informations que nous devons à nos clients et va donc dans le bon sens. Mais elle comporte encore de nombreuses zones de flou et des incohérences, ce qui rend sa mise en œuvre complexe. Nous exprimons le besoin urgent que ces réglementations soient clarifiées et harmonisées afin de donner plus de lisibilité et de crédibilité à l’investissement durable.

Des efforts restent à faire collectivement, notamment en termes de pédagogie en direction des épargnants. Des efforts d’autant plus nécessaires que le cadre réglementaire est en construction. Nous, professionnels de la gestion d’actifs, sommes engagés de manière déterminée et proactive pour réussir le verdissement de notre tissu industriel. Nous continuerons à œuvrer pour mériter la confiance de nos clients, dont l’épargne transformée en investissements est la clé de voute du succès de cette transition, vers une économie plus durable, sous toutes ses formes.

La mobilisation de l’AFG

Réussir cette transition et amener notre outil de production européen dans le monde futur nous enjoint à beaucoup de vigilance quant aux normes et critères européens par rapport aux critères américains, par exemple. Il n’existe plus, aujourd’hui, de fournisseurs de données extra financières européens : ils sont tous de propriété extra européenne et ils disposent de moyens colossaux pour définir leurs normes et critères. Or, pour conserver notre capacité à allouer l’épargne au financement du nouveau tissu industriel européen, nous devons garder la main sur ces deux matières premières absolument clés : La donnée et la norme ! Enjeux de souverainement pour l’Europe et de compétitivité pour notre industrie.
• La nécessité de maitriser l’information brute (dès le niveau émetteurs) afin de ne pas perdre en qualité et en capacité de discernement de la pertinence et de la performance des projets ;
• L’enjeu du reporting ;
• L’enjeu de souveraineté de l’information.

L’AFG s’engage pleinement, aux côtés de l’IFD, sur des travaux concernant l’information des émetteurs (normalisation de l’approche, réflexion sur l’analyse financière elle-même) dans l’objectif de créer une base de données commune et accessible, de manière à perpétuer, en Europe, la capacité à fournir, agréger, analyser une donnée ESG de qualité.

Les professionnels de la gestion d’actifs accompagnent quant à eux la transition avec une approche holistique, auprès de l’ensemble de leurs parties prenantes (clients, collaborateurs, émetteurs…), déclinée notamment dans leur stratégie RSE.