La nouvelle approche réglementaire de la Commission, «cadeau» pour l’industrie financière ?
Six mois après son entrée en fonction officielle – et bien que tout reste à faire – la Commission Juncker semble déjà avoir bien défini l’agenda réglementaire et les grandes orientations stratégiques de la première partie de son mandat.
Ceux-ci découlent de deux constats : premièrement, alors que l’investissement a chuté de 15% entre 2007 et 2014, les perspectives de croissance restent faibles en Europe. Deuxièmement, l’actuelle Commission considère, en s’appuyant notamment sur le succès des « stress test » menés en 2014 par l’Autorité bancaire européenne, que le système bancaire européen est plus stable qu’il ne l’était avant la crise. Cette analyse a ainsi conduit l’Institution bruxelloise à vouloir (re)placer le financement de l’économie « réelle » au coeur de l’activité financière et à adopter une nouvelle approche du risque.
L’une des clés de voûte de cette politique consiste en premier lieu à réorienter les liquidités et l’épargne vers le financement des PME et des projets de long terme afin de relancer l’investissement, condition préalable selon la Commission à la reprise de la croissance et de l’emploi. Elle est symbolisée par l’initiative visant à construire une Union des marchés des capitaux (voir infra), qui regroupe un grand nombre d’initiatives institutionnelles déjà avancées (Fonds européen d’investissement de long terme, Plan ‘Juncker’, etc.) ou en projet, comme la relance d’une titrisation simple, transparente et standardisée. Cette nouvelle priorité s’accompagne d’une approche nouvelle du risque explicitée ainsi aux régulateurs par Jonathan Hill en avril dernier: « Nous souhaitons faire de la stabilité financière le fondement d’une économie solide, mais nous ne devrions pas chercher à éliminer le risque, parce que sans risque il n’y a pas de croissance ». Ainsi, alors que la régulation financière (prudentielle et de supervision) avait été érigée en totem de l’action de l’ancienne Commission, Jonathan Hill répète désormais à l’envi que « la plus grande menace pour la stabilité financière est le manque d’emplois et de croissance ». Concrètement, le Commissaire britannique a annoncé d’une part l’aménagement des « règles détaillées » de Solvabilité II, afin d’accroitre les possibilités pour les investisseurs institutionnels d’investir dans les projets d’infrastructure, et d’autre part le lancement d’une large consultation à l’été 2015 pour estimer l’impact du règlement sur les exigences de fonds propres (CRR) dans l’octroi de crédits. Cette évaluation se fera à l’aune des nouveaux principes de mise en œuvre des règles prudentielles visant à mieux prendre en compte les spécificités et la diversité du système financier européen, à savoir une démarche proportionnée et différenciée en fonction du profil de risque et des business models des institutions financières concernées.
Ce changement d’approche vis-à-vis des normes prudentielles est perçu, après cinq ans de réglementations contraignantes, plutôt positivement par le secteur. Néanmoins, le projet d’ensemble, structurant, que représente l’Union des marchés des capitaux pourrait, en favorisant notamment l’éclosion de nouveaux acteurs et en encourageant une concurrence financière transnationale, bouleverser les équilibres existants et obliger les acteurs à se réinventer, sous peine de disparaître. En effet, il semble important de souligner que l’objet sous-jacent de la Commission n’est pas de faire de « cadeaux » particuliers aux acteurs de l’industrie déjà installés mais de les « encourager » fortement à financer l’économie à un coût moindre, en rendant le capital plus disponible et moins cher pour les agents de l’économie « réelle ». La nomination, au départ mal comprise, d’un commissaire anglo-saxon pour mettre en place un système concurrentiel fort, paraît être aujourd’hui on ne peut plus cohérente.