Très attendu, le rapport de l’ancien Premier ministre italien dresse de nombreuses pistes pour le futur programme de travail de la prochaine Commission européenne.

Le rapport préconise en particulier d’accroître les pouvoirs de régulateurs de l’ESMA sur le modèle de la SEC américaine et appelle à opérer une consolidation massive des CCP et des CSD au niveau européen, là encore sur le modèle américain. Enfin, comme l’appelait de ses vœux le rapport NOYER, il propos de créer une plateforme commune de titrisation au niveau européen.

Le 9 septembre 2024, le rapport de Mario DRAGHI sur l’avenir de la compétitivité européenne a été rendu public. Dans un contexte de ralentissement de la croissance européenne, Mario DRAGHI, ancien président du Conseil italien et ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), a été chargé par la Commission européenne à la fin de 2023 de rédiger un rapport sur les défis économiques et les réformes nécessaires pour renforcer la compétitivité de l’Europe.

Le retard pris par l’Union européenne dans la révolution numérique a aggravé la baisse de la productivité, creusant l’écart avec les États-Unis. Ce décalage s’accentue également en raison du ralentissement du commerce mondial, tandis que les entreprises européennes subissent une concurrence plus forte et que la Russie, leur principal fournisseur d’énergie, est désormais inaccessible. Si l’Europe ne parvient pas à améliorer sa productivité, le rapport estime qu’elle sera contrainte de faire des choix difficiles, ne pouvant pas à la fois devenir un leader technologique, un modèle en matière de climat, un acteur mondial indépendant, et maintenir son modèle social.

Le rapport est divisé en deux parties, la première revenant sur les constats de la situation actuelle et la seconde comprenant l’analyse approfondie et les recommandations de M.DRAGHI. Trois domaines d’action clés pour relancer la croissance en Europe sont identifiés :

  • Combler le fossé de l’innovation avec les États-Unis et la Chine, particulièrement dans les technologies avancées. Le rapport pointe que l’innovation peine à être convertie en produits commercialisables, et les entreprises innovantes qui cherchent à se développer en Europe rencontrent des obstacles à chaque étape en raison de réglementations incohérentes et restrictives.
  • Développer un plan commun cohérent pour la décarbonation et la compétitivité pour que la première devienne une opportunité de croissance.
  • Renforcer la sécurité et réduire les dépendances pour garantir une croissance durable. D’après Mario DRAGHI, l’UE a besoin d’une véritable « politique économique extérieure », coordonner ses politiques commerciales et ses investissements pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement et réduire ses dépendances, ainsi qu’harmoniser l’industrie de la défense.

Mario DRAGHI souligne plusieurs défis majeurs auxquels l’Europe est confrontée :

  • Un manque de concentration : bien que des objectifs communs soient définis, ils ne sont pas accompagnés de priorités claires ni de mesures politiques coordonnées.
    • Par exemple, bien que l’innovation soit théoriquement encouragée, les entreprises européennes, en particulier les PME, se heurtent à des charges réglementaires supplémentaires qui créent des obstacles, surtout dans les secteurs numériques.
  • La mauvaise allocation des ressources : malgré une capacité de dépenses importante, les fonds sont dispersés entre divers instruments nationaux et européens.
  • Un problème de coordination : le processus décisionnel en Europe est trop lent et désorganisé, ce qui freine une réponse cohérente et efficace aux défis rencontrés.

Le rapport propose des recommandations politiques à la fois sectorielles – couvrant des domaines tels que l’énergie, la santé, le numérique, la défense et les transports, etc. – et horizontales, notamment en ce qui concerne le renforcement de la gouvernance, le financement de l’économie et la simplification des normes européennes.

Parmi les enjeux transversaux, le rapport souligne la lourdeur de la législation européenne et le manque de différenciation entre PME et grandes entreprises. Cette charge réglementaire et administrative excessive nuirait à la compétitivité des entreprises de l’UE face à d’autres blocs économiques, en affectant négativement la productivité, en augmentant les coûts opérationnels, en élevant les barrières à l’entrée pour les nouvelles entreprises, et en entraînant des prix plus élevés pour les consommateurs. Sont cité en exemples la directive sur le reporting en matière de durabilité (CSRD), celle sur les obligations de diligence raisonnable (CSDDD) et le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).

Le rapport tire deux conclusions principales concernant le financement des investissements massifs nécessaires à la transformation de l’économie en Europe

  1. Bien que l’Europe doive avancer avec son Union des Marchés de Capitaux (UMC), le soutien du secteur public sera toujours nécessaire.
  2. Plus l’UE sera prête à se réformer pour augmenter sa productivité, plus elle disposera d’une marge de manœuvre fiscale, facilitant ainsi le soutien du secteur public.

Le rapport Draghi met en lumière les principales problématiques afin de favoriser le financement de l’économie européenne

Le rapport aborde l’incapacité de l’épargne élevée de l’UE à se diriger vers des investissements productifs en Europe. Cette faiblesse des investissements productifs, associée au vieillissement de la population, s’est traduite par une faible croissance qui devrait entraver la transition environnementale et numérique de l’Europe, ses dépenses en R&I et l’augmentation prévue des dépenses de défense. Le rapport estime le besoin d’un investissement supplémentaire à hauteur de 750 à 800 milliards d’euros annuel minimum, soit 4,4 %-4,7 % du PIB de l’UE.

Parmi les principales observations faites par Mario Draghi, celui-ci identifie la fragmentation des marchés de capitaux européens comme une des causes principales du faible niveau de financement en Europe. Si Mario Draghi salue les initiatives mises en place par l’Union ces dernières années il considère que trois problématiques doivent en priorité être traitées afin d’adresser la fragmentation dont souffrent les marchés financiers :

  • L’absence de superviseur unique des marchés financiers sur le modèle américain et d’un corpus de règles unique (single rulebook) pour les transactions financières.
  • Un post-marché fragmenté et la multiplication des contreparties centrales (CCP) et des dépositaires centraux de titres (CSD– DCT) qui complexifie les transactions et les rend plus coûteuses.
  • Une fragmentation des régimes de faillite et des régimes fiscaux entre les différents Etats membres, ainsi qu’entre les types de clients et entre les types de titres.

L’ancien gouverneur de la BCE considère par ailleurs que l’absence d’un actif sûr européen permettant d’offrir un benchmark standardisé de l’actif « sans risque » limite le développement des marchés financiers. Un tel actif permettrait ainsi d’accroître la comparabilité et la transparence des produits financiers et d’être utilisé comme collatéral à travers tous les pays de l’Union. Un tel actif accroîtrait l’attractivité et la compétitivité des marchés de capitaux européens et permettrait d’avoir un actif sûr et liquide adapté aux investisseurs de détail tout en réduisant le « home bias » ou le biais qui consiste à investir avant tout dans des actifs issus de son pays.

Parmi les autres raisons de la faiblesse du financement des investissements en Europe le rapport mentionne aussi :

  • Une dépendance excessive à l’égard des banques par rapport aux marchés de capitaux.
    • L’Europe s’appuie excessivement sur le financement de la dette par les banques
    • Les banques ne sont pas les mieux placées pour financer l’innovation. Les banques sont généralement soumises à une lourde réglementation prudentielle et n’ont pas l’expertise nécessaire pour sélectionner et contrôler les entreprises innovantes. Une structure financière qui soutient l’innovation ne devrait pas se reposer uniquement sur le financement bancaire. Elle devrait au moins être partiellement financée par des fonds propres ou utiliser des emprunts à long terme.
  • Les contraintes spécifiques au secteur bancaire de l’UE
  • La capacité des banques de l’UE à financer des investissements importants est limitée par une rentabilité plus faible, des coûts plus élevés et une plus petite échelle que leurs homologues américaines.
    • Il y a une règlementation plus stricte en Europe qui entraine un marché de la titrisation moins développé qu’aux Etats-Unis.
    • L’UE est critiquée pour avoir renforcé les règles de Bâle III, rendant l’environnement réglementaire trop strict pour les banques.
    • La fragmentation du secteur bancaire européen est en grande partie due à l’implémentation incomplète de l’Union bancaire. Bien que la zone euro ait unifiée la supervision prudentielle des banques, elle n’a pas encore mis en place une assurance des dépôts commune et l’autorité de résolution unique manque d’un soutien financier, compliquant la gestion des grandes banques systémiques.
  • Le marché unique incomplet des biens et des services empêche les entreprises innovantes et à forte croissance de se développer dans l’UE, ce qui les incite à rechercher des investissements auprès de sociétés de capital-risque américaines et à se développer sur le marché américain.
  • Inefficacité du financement public de l’investissement dans l’UE.

Les propositions de Mario DRAGHI afin de renforcer la compétitivité de l’Union.

Afin de répondre aux problématiques de l’Union, le rapport préconise une série de recommandations visant à rendre plus attrayants les marchés financiers et faciliter les investissements dans l’économie.

Parmi les recommandations clés pour FPM figurent :

  • Renforcer le rôle de l’ESMA comme superviseur unique en lui attribuant de nouvelles responsabilités :
    • La supervision de tous les émetteurs importants européens, l’ESMA superviserait ainsi tous les émetteurs des principaux indices européens (CAC 40, DAX, Euro SToxx 50 FTSE IBEX 35) ;
    • Les plateformes de négociation opérant dans plusieurs Etats comme EuroNext ;
    • Les CCP
    • Simplifier la gouvernance de l’ESMA afin de la rendre plus indépendante et plus efficace, telle que proposée par le rapport LETTA.
  • Réduire la fragmentation des marchés de capitaux en harmonisant les régimes de faillite et les obstacles fiscaux aux investissements transfrontières ainsi que de la fiscalité s’appliquant aux investissements financiers au niveau européen.
  • Favoriser la concentration des activités de compensation et de la fonction de dépositaire en créant un unique CSD et une unique CCP pour toutes les transactions financières.
  • Faciliter les investissements dans les entreprises en :
    • Permettant aux « business angels » de reporter la fiscalité sur la vente d’actions non-cotées si les bénéfices sont réinvestis dans de nouvelles entreprises non-côtées.
    • Rationalisant les règles en matière de capital risque afin de favoriser les investissements dans les PME via des financements européens.
    • Développant les cotations en bourse d’entreprises européennes
        • Réduire la dépendance au financement bancaire en Europe en accélérant le développement de l’Union des Marchés de Capitaux (CMU) et en augmentant les flux vers les marchés de capitaux en encourageant une plus grande adhésion aux plans de retraite privés.
        • Élargir le financement bancaire en révisant les règles excessivement restrictives sur la titrisation :
  • En proposant une réduction des charges en capital pour certaines catégories d’actifs titrisés (comme les actifs respectant les critères STS ou Simple, Transparent, and Standardized) où les exigences actuelles ne reflètent pas les risques réels.
  • En mettant en place une plateforme de titrisation, afin de réduire les coûts pour les banques, en particulier les plus petites, et de favoriser la standardisation des produits titrisés, rendant leur acquisition plus attractive.
  • Compléter l’Union bancaire et réviser les règles prudentielles :
  • Examiner si la réglementation prudentielle en vigueur, notamment avec la mise en œuvre de Bâle III, est suffisante pour garantir un système bancaire européen solide et compétitif à l’international.
  • Créer une juridiction distincte pour les banques européennes ayant des opérations transfrontalières importantes.
        • Introduire une émission régulière et substantielle par l’UE d’un actif commun sûr et liquide pour permettre des projets d’investissement communs entre les États membres et aider à intégrer les marchés de capitaux.

Lors de la présentation du rapport Ursula von der LEYEN a affirmé que le rapport contribuerait à enrichir le programme de la Commission européenne :  « vos conclusions continueront bien sûr d’inspirer nos travaux dans les mois et les années à venir ».