GUERRE, PAIX ET MARCHÉS FINANCIERS
La réaction de l’Union européenne à l’’invasion russe en Ukraine le 24 février 2022 a été d’une impressionnante célérité. En un peu plus d’un mois, le « plus vaste train de sanctions de l’histoire de l’Union 1» a été adopté sous la forme de différentes séries de mesures.
Déconnection de plusieurs banques russes du réseau Swift, gel des avoirs de la Banque centrale et des hauts responsables russes, interdiction d’exportation ou d’importation de certains produits, suspension des investissements en Russie dans différents secteurs, exclusion de la Russie des marchés publics et des financements européens, etc. : les dispositions prises par l’UE sont d’abord économiques et financières, l’enjeu étant d’asphyxier la capacité de financement russe de la guerre et de contraindre Moscou à un cessez-le feu.
Dans ce contexte, les autorités de supervision européennes (European supervisory authorities – ESAs) suivent de très près les conséquences de la guerre et des sanctions européennes sur la stabilité financière du Vieux Continent. Dès la mi-mars, l’autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a ainsi expliqué surveiller l’impact des sanctions sur les opérations des dépositaires centraux de titres et aider à la mise en oeuvre de ces dernières de manière cohérente. De même, l’ESMA suit de près la volatilité liée aux chambres de compensation et l’évolution des marges dans les segments de marché de l’énergie et des matières premières.
En matière de gestion des investissements, l’autorité européenne prévoit de renforcer son rôle de coordination en surveillant les fonds et en organisant des échanges fréquents avec les autorités nationales sur les évolutions du marché et les risques de supervision liés à la crise. L’accent est particulièrement mis sur la liquidité, l’utilisation d’outils de gestion de liquidité, l’évaluation des actifs et la suspension potentielle des rachats. L’ESMA est également attentive à la situation du marché secondaire et assiste les autorités nationales dans la mise en oeuvre cohérente des sanctions par les opérateurs de marché.
Les ESAs ont intégré ce nouveau « risque géopolitique » dans leur évaluation générale des risques 2022 publiée le 14 avril. Elles y soulignent par ailleurs la forte volatilité des marchés financiers et le risque de pénurie de matière première, combinée à des hausses de prix tutoyant des niveaux inédits depuis la crise financière et catalyseurs d’inflation. Si l’exposition du secteur bancaire européen à la Russie et l’Ukraine semble limitée, elles recommandent de se préparer à une éventuelle détérioration de la qualité des actifs et de surveiller l’impact des brusques variations de rendements pour les institutions financières et les investisseurs.
Malgré les divergences initiales entre les Etats membres et la difficulté de faire des choix à la hauteur des enjeux, la guerre en Ukraine démontre une fois de plus que l’Union européenne continue de se construire de crises en crises. « La guerre, c’est la guerre des hommes ; la paix, c’est la guerre des idées » écrivait Victor Hugo. Les moyens de « gagner la paix » font ainsi l’objet d’intenses débats à Bruxelles. Le cadre institutionnel européen, qui associe des pays rompus aux négociations, permet à ces derniers de serrer les rangs lorsque les questions existentielles se posent. Et de se rappeler les raisons de leur Union.
Louis-Marie Durand
EURALIA