En attendant la stratégie pour les investissements de détail : bataille rangée pour une guerre de positions

C’est une levée de boucliers généralisée à laquelle doit faire face la commissaire Mairead McGuinness depuis près de dix mois. A mesure que la publication de la stratégie pour les investissements de détail (RIS) approche, le secteur financier n’a cessé de réaffirmer son opposition à une possible interdiction des commissions. L’industrie met ainsi en avant le rôle clé que le conseil apporte aujourd’hui, et le big bang réglementaire qu’une interdiction entrainerait pour les Places. Au grand dépit de cette dernière, la commissaire semble malgré tout chercher à faire passer sa réforme « emblématique » coûte que coûte afin d’assurer « un conseil non-biaisé pour les consommateurs ». Au-delà de l’industrie, les acteurs institutionnels ont commencé eux aussi à entrer dans la bataille afin de préserver leur modèle national et leurs intérêts économiques. Jusque-là -officiellement du moins- l’opposition des Etats membres se limitait à la France, l’Allemagne et l’Autriche, mais les dernières informations font état de la création d’une coalition significative d’Etats membres afin de s’opposer à l’interdiction des « inducements ». Une position répercutée de façon policée, par les autorités de supervision européennes (ESMA, EIOPA) et nationales (ACPR, AMF, Bafin) qui ne semblent pas convaincues par une mesure aussi « radicale ». Même au sein de la Commission européenne, Mairead McGuinness semble de plus en plus isolée sur sa volonté de porter une telle mesure. Forte et nécessaire pour les uns, disproportionnée et dangereuse pour les autres. Il apparait que sa proposition ne soulève pas d’engouements particuliers au-delà des traditionnels soutiens du ban. De même, du côté du Parlement européen, les groupes Socialistes & démocrates (S&D) et Verts/ALE, qui avaient pourtant défendu l’introduction d’une interdiction des commissions durant la révision de MiFID II, sont restés relativement en retrait. L’aile gauche au Parlement semble donc hésiter à investir du capital politique dans un projet qui peinera à aboutir dans le cadre du jeu de force actuel. Les défenseurs du statu quo ont, au contraire, réussi à mobiliser l’ensemble du secteur financier européen autour d’une position commune : une interdiction des commissions est nuisible pour la compétitivité du secteur, pour l’accès des investisseurs de détail à un conseil abordable et humain et mettrait à mal les efforts laborieux de mobilisation de l’épargne en faveur des transitions vertes et numériques. Alors que l’Union fait figure de parent pauvre en terme d’investissement et de mobilisation de l’épargne des particuliers et que les besoins de financements pour atteindre les objectifs en matière de durabilité ne cessent de croître, peu sont les acteurs à vouloir procéder à un big bang de l’organisation des marchés de capitaux européens et en assumer les risques. Une telle révolution déstabiliserait dans la durée et en profondeur le secteur, et pourrait avoir un impact négatif sur l’orientation des capitaux vers l’économie réelle et la transition verte La désintermédiation à tout prix semble un remède éculé à des problèmes complexes et appelant à des solutions dans l’ère du temps.

Lettre Européenne n°39 – à télécharger